Masques sur le visage, contrôles à l’entrée avec des gentlemen invitant à utiliser du gel hydroalcoolique, sens de circulation fléché… Pas de doutes, avant même le début de la conférence annuelle sur les tendances de consommation du spécialiste de l'étude de panels de consommateurs Kantar ce 8 octobre, le thème central s’imposait. L’impact de la pandémie de Covid-19 sur les comportements des consommateurs français est en effet au cœur des enjeux.
Et malgré les contraintes sanitaires, les représentants des marques et opérateurs de la distribution ont répondu présent pour ce "Consumer Day", preuve de l'incertitude dans laquelle chacun s'évertue à progresser depuis plusieurs mois. Un brouillard qui semble loin de se lever tant les signaux sont pour l’instant encore dans le rouge. "Nous sommes face à la plus grande crise depuis 1945. Nous ne sommes pas encore dans l’œil du cyclone au niveau économique. La consommation est ralentie, détaillait en préambule Gaelle Le Floch, directrice de l'analyse consommateurs. Les Français ont mis de côté 100 milliards d’euros, autant que le plan de relance. Mais ils ne sont pas prêts à y toucher avant d’y voir plus clair. Ils sont 56% à être inquiets. En France, nous avons 40% des foyers dont le revenu est garanti. Mais l’impact de la crise du Covid-19, ce sont les plus modestes qui en pâtissent le plus. Nous voyons un clivage col bleus-cols blancs qui va s’accentuer. Il y a une ligne de fracture sociale très nette." Dans les grandes lignes, le confinement et la phase actuelle de contraintes ont apporté quelques évolutions lourdes au quotidien des Français. C'est devenu une rengaine depuis quelques mois, mais Kantar l'affirme également: la crise sanitaire et le confinement du printemps dernier ont servi d’accélérateur de tendances. Et les deux tendances majeures sont le renforcement de l'intérêt sur les questions écologiques et la montée en puissance de l'e-commerce.
"Il y a une prise de conscience pour certains consommateurs qui ont basculé de la catégorie des éco-sceptiques à celle des éco-sensibles. Et cela va s’exacerber chez les plus sensibles avec comme grands thèmes le réchauffement clim et la question des déchets plastiques. Mais nous voyons encore 40% d’éco-sceptiques, ce sont des personnes qui vont s’accrocher à l’ancien modèle. Les files d’attente lors de la réouverture des McDo Drive en étaient une représentation".
L'autre axe fort est définitivement l'e-commerce. En ce qui concerne l'alimentaire, 10% des foyers français ont acheté en ligne alors qu'ils n'étaient pas clients en ligne durant le confinement. Cela représente 2,8 millions de clients supplémentaires. Fait intéressant, si toutes les catégories d'âge ont progressé dans leur utilisation du net, les quadras, quinquas et sexagénaires ont connu les plus fortes croissances. Surtout ces pratiques semblent s'ancrer dans le quotidien pour environ 40% de ces nouveaux utilisateurs. Les hypermarchés sont particulièrement touchés et perdent largement des clients.
"Les enseignes se repensent, explique Grégoire Baudrier, spécialiste du retail chez Kantar. Elles doivent voir l’hyper comme un lieu de test et de découverte pour les clients. Cela peut être de la dégustation, la mise en avant des services alimentaires, le conseil pour le vin ou une approche sur le frais mais pourquoi aussi un renforcement de l'offre avec l'entrée d'acteurs externes comme Cdiscount ou C&A qui sont arrivés dans les Géant Casino. Pour les magasins Auchan il y a toute une palette d'opportunités au sein de la galaxie Mulliez avec Decathlon, Kiabi ou Leroy Merlin pour réenchanter l’achat dans ses points de vente".
Par ailleurs, le drive est devenu un outil qui pèse à présent 8,5%. "C'est amené à perdurer, estime Grégoire Baudrier, mais les enseignes vont devoir adapter l’offre notamment aux attentes des clients seniors gagnés sur le net. On voit aussi le développement des drive piéton". Les consommateurs intègrent donc les codes du net et de l'omnicanalité.
Une progression liée au confinement mais qui se confirme depuis pour des questions sanitaires pour les plus âgés et pour une évolution des rythmes de travail pour les actifs. L'équipe de Kantar souligne que les Français ont pris goût au télétravail (31%), se sont impliqués dans l’aménagement de la maison et de leur jardin (les ventes de piscines se sont envolées cet été) et se sont tournés vers de nouveaux rituels que ce soit dans la cuisine à domicile ou le jardinage. "Les Français ont pu mesurer le travail nécessaire pour obtenir des produits de qualité. Cela renforce une obsession des étiquettes pour connaître le contenu des assiettes, surtout pour les produits transformés". Fait marquant 40% des Français disent baisser leur consommation de produits carnés.
Mais s'ils font attention à leur assiette, les Français prennent surtout garde à leur porte-monnaie. Une période qui inquiète les consommateurs, selon Kantar, les Français sont 46% à faire attention à des dépenses non nécessaires, soit 4 points de plus qu’en juin dernier. Si les consommateurs se font plaisir avec des barres chocolatées ou des apéritifs, d'autres achats sont en berne, en particulier le secteur de la mode. "On n’assiste toujours pas à un revenge shopping. Les rituels de beauté et de mode sont toujours en baisse. Et moins dépenser pour son look va perdurer".
Et selon Kantar, cela n'est pas lié au niveau de pouvoir d'achat. Le panéliste a lancé l'an dernier une nouvelle grille d'analyse de la société française. "Au moment de l'émergence de la crise des gilets jaunes nous voulions savoir si cette crise, que nous percevions tous, était bien réelle, et où se situaient les lignes de fractures, souligne Gaïdic d'Albronn, DG de Kantar Worldpanel. Kantar propose ainsi une vision avec une segmentation de la société en huit catégories. "La crainte financière qui nous guette risque d’amplifier les fractures, analyse la directrice générale. Mais le pouvoir d’achat n’est pas la seule valeur explicative. Ce n’est pas parce qu’on est aisé qu’on est sur du mieux consommer et ce n'est pas parce que l'on est sous pression financière que la consommation est guidée par l'achat prix".
Ainsi, les "inactifs sacrifiés", les "actifs délaissés" et les "inactifs précaires" sont-ils les plus inquiets pour l'avenir de leur situation financière mais aussi les "volontaristes optimistes", qui ont généralement des situations meilleures en termes d'emploi.
Surtout Kantar a tenté d'analyser si ces catégories de Français étaient plutôt préoccupés par la fin du monde ou la fin du mois. Un enseignement: le mieux consommer n'est pas la priorité des plus aisés, les "urbains privilégiés", pour qui consommation se conjugue avec plaisir. "Les urbains privilégiés sont moins tournés vers le mieux consommer que les actifs délaissés, précise Anne-Sophie Bielak. Nous n’avons pas de corrélation entre le mieux consommer et le revenu. Certains sont dans un mode activiste et ils peuvent être modestes, ce n’est pas antinomique. Mais ce qui est intéressant c'est que plusieurs catégories sont à la fois dans l'approche fin du monde et fin du mois". Les dépenses des Français jouant sur les deux tableaux représenteraient quelque 43% du chiffre d'affaires des acteurs des produits de grande consommation et du Frais libre service. "Nous pensons que nous sommes définitivement sortis du modèle de consommation de masse. La juste valeur devient l’enjeu majeur, la valeur morale attendue par rapport à la valeur économique".
De plus en plus de consommateurs attendent en effet des marques qu'elles s'engagent, prennent parti, défendent des causes. Tout l'enjeu pour les entreprises est, comme le précisait Gaëlle Le Floch, de "choisir leur engagement". A ce titre, Danone a par exemple adapté son portefeuille de marques pour avoir une stratégie de groupe cohérente.
Est-ce la fin du mass-market? En tous cas, pour les marques, appréhender la diversité des consommateurs doit leur permettre de construire à la fois leur offre mais aussi leur image afin de séduire ces catégories de clients aux demandes fragmentées.
Article écrit par Olivier Guyot, publié dans FashionNetwork le 11 octobre 2020
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